Ayant perdu leur évidence, la guêpière, le porte-jarretelles, le serre-taille sont devenus des instruments qu’on peut utiliser de diverses façons.
Les adolescentes, par exemple, n’ont pas d’états d’âme. Elles ont compris et accepté que les hommes aimaient ça et que, dans le jeu de la séduction, le porte-jarretelles était un plus. Vivant depuis toujours dans un monde où le jean et la petite robe noire moulante cohabitent sans heurts, elles ont intégré le porte-jarretelles comme un accessoire de séduction, au même titre que les paillettes ou les faux cils. Elles vont en acheter avec leurs copines ou leur petit ami, et la première fois, elles ne savent pas les mettre, ce qui fait sourire gentiment les vendeuses des boutiques de lingerie.
« Le porte-jarretelles, c’est un grain de folie qu’on peut se permettre exceptionnellement, nous raconte Muriel, quinze ans. Quand tu en portes, il se passe plein de choses dans ta tête, ça engendre un délire secret, physique et mental. Tu mates un mec qui te plaît dans la rue et lui ne te regarde même pas parce qu’il croit que tu es une fille comme les autres. Et là, toi tu te dis : Ben mon vieux, je suis plus sexy que tu le crois. C’est satisfaisant un truc comme ça. Mais quand tu y repenses, tu te dis quand même : Tu as fait la maligne avec tes bas, mais tu les as quand même mis sous un jean, hein ? »
Les lolitas d’aujourd’hui n’hésitent effectivement pas à porter des bas sous un jean, ce qui peut sembler une aberration pour les puriste, mais permet de redonner à leurs compagnons le plaisir de la découverte et de joindre à la surprise le décalage amusant du mélange de matières et de genres. […]
Viennent ensuite les fanatiques, celles qui ne portent que ça, soit parce qu’elles sont très grandes et minces et qu’elles ont des problèmes avec les collants : ils tirent, ils plissent, et elles n’arrivent jamais à trouver la bonne taille. Soit pour une question de confort, parce qu’elles trouvent que rien n’est plus désagréable qu’un collant dont les fils synthétiques s’impriment dans le haut des cuisses quand elles restent assises trop longtemps, et qu’elles n’aiment pas se sentir enfermées. Soit encore parce qu’elles en ont porté jeunes filles, jeunes femmes, et qu’il n’est pas question d’y renoncer : ces femmes d’un certain âge portent d’ailleurs plus volontiers la gaine que le porte-jarretelles. Elles aiment ça parce qu c’est plus pratique – oui, ces femmes existent ! – plus agréable, un point c’est tout. Et en plus c’est joli.
Il y a les intérimaires. Elles en ont un dans leur garde-robe, comme on a un boa, un chapeau, un collier de perles. Elles pratiquent l’érotisme-minute, le porte pour un soirée, ou simplement pour une nuit, comme un déguisement pour séduire l’homme de leur choix.
Il y a les sereines, celles qui n’ont jamais cessé de porter serre-taille, guêpière ou porte-jarretelles, et l’intègrent parfaitement à leur vie, sans pour autant se priver du collant. Elles savent qu’il est un art de vivre, qu’il faut le porter quand on se sent bien, car il rend plus belle, même si il ne se voit pas. Il donne une autre allure. Avec lui on bouge et on s’asseoit différemment, on a conscience de l’existence de son sexe, de sa croupe, de ses hanches, de sa peau, de sa taille prise. Il est comme un aphrodisiaque. D’ailleurs, ces femmes-là savent que tout dans la vie peut être érotique, et même en collants, même en pantalon, elles donnent l’impression d’avoir des bas et un porte-jarretelles.
Enfin les indifférentes, celles qui n’en portent jamais. Par souci d’économie, par désintérêt de ces vêtements qui ne se voient pas, ou par refus obstiné d’entrer dans le jeu du dessous affriolant, au nom d’un principe féministe qui veut qu’on n’a pas besoin de ça pour séduire. Qui a parlé de besoin ? Il s’agit de plaisir, mais celles-ci ne le savent pas.
Lili Sztajn, Histoires du porte-jarretelles (Paris, La Sirène, 1992, p. 96)